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« J’ai appris à être un patron »

Manager. Avoir l’état d’esprit d’un employeur n’est pas donné à tout le monde. Parfois, il faut passer par la case « formation » pour changer sa façon de manager son (ou ses) salarié(s). C’est ce qu’a fait Anthony.

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Pendant deux ans, Jean-Louis a été l’apprenti et Anthony, le maître de stage. Lorsque ce dernier a embauché le premier, il s’est vite rendu compte d’un problème. « Je communiquais avec lui encore comme avec un stagiaire, et non comme avec un salarié », résume-t-il. Depuis plusieurs années, Anthony recevait sur son exploitation des apprentis. En revanche, Jean-Louis est son premier salarié. « Le courant passait bien entre nous et il fallait que je trouve une solution à la suite du départ à la retraite de mes parents. » Pendant les deux années d’apprentissage, Anthony a pu former Jean-Louis avec sa façon de travailler. « En contrepartie, il n’y a pas eu de réelle coupure entre l’apprentissage et le salariat. Or, ce n’est pas la même approche. »

Moins de un an après l’embauche de Jean-Louis, Anthony participa à une formation afin de trouver la bonne posture à adopter. « Cela m’a fait réfléchir sur ce que j’attends de Jean-Louis et sur la façon de le lui communiquer », explique-t-il.

« Avec de la rigueur, tout le monde s’y retrouve »

Son objectif est de responsabiliser Jean-Louis en lui confiant des tâches sans avoir à repasser derrière. « En général, on n’a pas à le faire. Quand on demande à quelqu’un d’effectuer quelque chose, si ce n’est pas bien fait, c’est qu’on a sûrement mal passé le message ! » Pendant la formation, Anthony a appris que la rigueur aide à travailler à plusieurs. « Par exemple, si on laisse ses outils où l’on veut, l’autre personne devra les chercher. Avec plus de rigueur, tout le monde s’y retrouve. » Cela demande quelques ajustements. Ainsi, Jean-Louis a la charge du matériel et des cultures. Avant, il n’y avait qu’Anthony qui s’y retrouvait dans l’atelier. Celui-ci a été déplacé et aménagé afin que tout puisse être facilement trouvé. Par ailleurs, la liste des réparations à effectuer est écrite. Dès que Jean-Louis a du temps, il regarde ce qu’il peut faire sans avoir à recourir à Anthony. « Il y a encore des améliorations à faire, signale Anthony. Il faudrait que nous puissions mettre des priorités sur les tâches à effectuer. Nous aimerions également établir un étiquetage de l’ensemble de l’atelier de façon à ce que n’importe qui d’autres que nous puisse s’y retrouver. »

« Il faut créer des moments d’échange »

Depuis la formation, l’organisation quotidienne a évolué pour que chacun puisse être plus efficace. Désormais, Anthony et Jean-Louis se retrouvent deux fois par jour pour échanger et passer les consignes : à l’arrivée de Jean-Louis après la traite du matin et autour du café en fin d’après-midi. « Le matin, Jean-Louis sait ce qu’il a à faire. Selon la météo, nous ajustons ce que nous avions planifié la veille, précise Anthony. Cependant, pendant les périodes de semis, nous ne faisons pas forcément le point matinal. La priorité, c’est les cultures. Jean-Louis me tient au courant de la durée de ses tâches. » Les deux éleveurs révèlent que ces moments d’échange permettent également de connaître l’état d’esprit de l’autre. « Parfois, il faut se remotiver et à d’autres moments, savoir lever le pied », avoue Anthony. Avec l’embauche de Jean-Louis, Anthony peut s’absenter soit pour ses responsabilités extérieures, soit pour des week-ends, voire des vacances. « En temps normal, je ne m’occupe que très peu des animaux, relate Jean-Louis. En amont de ses périodes d’absence, Anthony prépare des feuilles qui sont affichées dans chaque atelier pour rappeler les doses d’aliment par exemple. » Ces rappels sont conçus comme des plans où la localisation de chaque chose (aliment, eau, lait…) est indiquée. « Cela permet de gagner du temps ! » Anthony s’applique à rendre Jean-Louis le plus autonome possible. « Il faut se mettre à la place des gens pour leur faciliter leur travail et qu’ils apportent leur pierre à l’édifice. » Cependant, Anthony avoue ne pas mettre par écrit toutes les consignes. « J’essaie de noter pour l’alimentation et la traite. Mais les tâches sont tellement variées que souvent, les consignes sont passées oralement. Il faudrait que je le fasse plus rigoureusement. »

« Savoir parfois se taire et réfléchir »

Savoir transmettre les consignes est une chose, mais ne pas s’emporter si elles n’ont pas été suivies ou comprises en est une autre. « Nous avons tous les deux des caractères souples, souligne Anthony. Quand il ne fait pas comme je voudrais, je prends sur moi et lui explique. Si je suis déjà énervé, je préfère attendre le lendemain pour ne pas l’énerver lui aussi. Par exemple, j’attends de voir le résultat, comme pour une soudure ou un semis. Il faut parfois se taire et réfléchir pour apporter les mots corrects. Si l’un de nous se braque, la prochaine fois, l’échange risque d’être vite clos. J’essaie de relativiser, de parler un maximum en amont, de glisser des réflexions de temps en temps. Pour l’instant, nous n’avons jamais été confrontés à un clash. » Le choix des mots est essentiel selon Anthony. Ainsi, face à un désaccord sur la manière de réaliser une tâche, Anthony évite de dire : « Tu as mal fait » pour préférer : « Je pense que j’aurais fait autrement. » « Cela permet de ne pas être dans le jugement et que l’échange soit constructif. »

« Nous fixons des objectifs ensemble »

Pour mieux évaluer leurs attentes, Anthony et Jean-Louis fixent ensemble des objectifs journaliers et annuels. « Cela nous oblige à nous poser la question de ce qui est prioritaire, s’accordent les deux éleveurs. Même si nous travaillons sur du vivant. Nous en discutons ensemble et revenons régulièrement dessus. Le fait que ce soit partagé nous guide. Quand l’un y pense moins, l’autre s’en souvient. Si besoin, nous modifions les priorités. C’est plus facile quand cela a été mis sur un planning. » Trois ans après la formation, Anthony et Jean-Louis tirent un bilan positif. « Je suis plus autonome grâce aux repères que nous avons mis en place, assure Jean-Louis. J’ai également élargi la palette des tâches que j’accomplis soit au quotidien, soit au coup par coup. » Anthony se félicite d’avoir toujours Jean-Louis à ses côtés alors que pendant ce temps, « certains voisins ont vu passer trois salariés différents ! Il reste cependant encore des améliorations à mettre en place, comme l’entretien annuel. Le côté formel est peu engageant mais ça nous aiderait tous les deux à avancer. »

Emilie Auvray

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